Du 12 février au 14 mai 2017, Zigzag incisions, double exposition collective avec Armando Andrade Tudela, Raven Chacon, Tania Pérez Córdova & Francesco Pedraglio, Roberto Evangelista, Ximena Garrido-Lecca, Seulgi Lee, Pierre Leguillon, Felipe Mujica, Edit Oderbolz, Blinky Palermo, Falke Pisano, Julia Rometti, Jorge Satorre, présentée au CRAC Alsace et à SALTS, Birsfelden, sur un commissariat de Victor Costales & Elfi Turpin.

«… des cercles, des cercles; des cercles innombrables, concentriques ou excentriques; un scintillant tourbillon de cercles qui, par leur multitude enchevêtrée de courbes qui se répétaient, par l'uniformité de leurs contours, par leur confusion de lignes entrecoupées, évoquaient une figuration du chaos cosmique, le symbolisme d'un art en folie essayant de représenter l'inconcevable».
Joseph Conrad, L’agent secret.
Un épigraphe volé à un livre, loin des villes frontalières troublées.

Des cerfs-volants, des cerfs-volants; d’innombrables cerfs-volants, des pentagones psycho-acides, certains avec des sourires fous de tortues Ninja, tenus par des lignes invisibles de force et d’intensité variables. Leurs structures vernaculaires sont secouées par des rafales de vents tropicaux, sentant l’orage arriver et le ciel s’abattre sur la ville. Les cerfs-volants sont poussés contre les murs d’un bâtiment moderniste décrépi. Ils s’y heurtent, s’y collent, recouvrent l’humidité du béton impuissant d’un chevauchement de fractales et de couleurs dans un arrangement kaléidoscopique sauvage. La trajectoire aléatoire du vent et de la mousson accroche le mythe mineur d'un cerf-volant au rituel à demi oublié d'un mur moderniste. De grosses gouttes de pluie trouent le papier, le déchiquettent, laissant quelques fragments de géométrie volante collés aux surfaces sales, là pour un temps. Peut-être un temps géologique.

Il n'y a rien d'inconcevable dans l'art de traverser, une fin d’après-midi, la surface plane d'une place publique en marchant en zigzag, en observant du coin de l’œil ce qui se passe à la périphérie de cet espace large et désolé. C'est simplement une méthode, une autre façon de pratiquer les tangentes. Marcher en zigzag consiste à inscrire le hasard dans les géométries à faible impact de n’importe quels ville, forêt ou désert latino-américains. De même, si vous passiez par là, et si vous aperceviez les fines lignes noires dessinant les rivières voisines sur un bol en céramique laissé sur la table d'une maison ouverte, vous sauriez où les habitants de cette maison sont allés pêcher. Pourvu que vous sachiez lire le code, bien sûr. Une question de proximité.

De retour sur la place, zigzaguant plus près de ses périmètres variables, si vous jetiez un coup d’œil sur la gauche, vous pourriez apercevoir deux hommes, main dans la main, en train d’exécuter un tango parfait, avec un style et une élégance dépassant toute description. Si dans le même temps, vous regardiez discrètement à droite, vous pourriez capter les pirouettes d'un insecte (probablement une mouche) s’échappant par la vitre arrière d'un taxi, laissant un passager à moitié soûl gesticuler frénétiquement derrière le conducteur et raconter l’histoire d'un autre trajet, de A à B en passant par Z. Il y aurait des chances que vous ayez été pris dans l'une des boucles de la mouche. Vous auriez juste à être très très bon dans la pratique du regard oblique. Pratiquez souvent.

Mais ce qui se passe à Asunción ne reste pas à Cocosolo. Le vent, qui vient de finir de feuilleter le livre de géométrie que le Professeur Amalfitano a laissé suspendu dans sa cour sur une corde à linge, dans ce ready-made malheureux qu’est la ville de Santa Teresa, pour voir si un axiome pouvait apprendre quelque chose de la vie réelle et réciproquement—ce vent-là apportera le concept d'attracteurs étranges* aux cactus qui poussent dans les montagnes entourant Lima. Quelques heures plus tard quelqu'un cuisinera le cactus et verra les fractales projetées sur des choses, la nuit, comme les signes d’un autre langage s’amoncelant devant ses yeux en amande.



Nous avons regardé les lumières qui passaient, comme dans l'hymne post-dictature de Charly**: rouge, vert, jaune, vert, fuchsia. Nous avons traversé la place, les couleurs, les humains et quelques autres humains. Nous n'étions pas étrangers.

Victor Costales, janvier 2017.

Zigzag incisions est une exposition qui respire le même air qu’un livre de géométrie pendu à une corde à linge. Elle réunit Armando Andrade Tudela, Raven Chacon, Roberto Evangelista, Ximena Garrido-Lecca, Alfredo Hubard, Seulgi Lee, Pierre Leguillon, Felipe Mujica, Edit Oderbolz, Blinky Palermo, Tania Pérez Córdova & Francesco Pedraglio, Falke Pisano, Julia Rometti, Jorge Satorre, Santiago da Silva, dont les œuvres et les idées circulent entre trois espaces: celui du CRAC Alsace, un ancien lycée du 19e siècle situé à Altkirch en France, celui de SALTS, une ancienne boucherie située à Birsfelden en Suisse, et celui de Follas Novas, une librairie, située à Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne, librairie où aurait été acheté le Testamento Geométrico du poète galicien Rafael Dieste, livre que le Professeur Amalfitano, un des personnages du roman de 2666 de Roberto Bolaño, livre donc que le Professeur Amalfitano a suspendu, non sans étonnement, à une corde à linge dans l’arrière-cour de sa maison.

* www.fractalwisdom.com/science-of-chaos/the-four-chaos-attractors/strange-attractor
  strangeattractor.co.uk

**www.youtube.com/watch?v=UMqg9bgLJwE