Du 21 février au 15 mai 2016, Trust In Fiction, exposition collective avec Eleanora Antinova, The Atlas Group, Jack Blevins, Collection Yoon Ja & Paul Devautour, Marcelo do Campo & Marcelo Cidade, René García Atuq, Pedro Manrique Figueroa, Joaquim Nunes de Souza, Naranja M. Q. & Clara S. & Helena L. & Javi L. & le Mendiant, Euclides Terra, Juan Trepadori, et la participation de Luis Camnitzer, José Guillermo Castillo, Liliana Porter, Luis Ospina, sur un commissariat de Santiago García Navarro & Elfi Turpin.

Trust in Fiction associe des artistes de fiction dont les œuvres, bien réelles, issues de contextes artistiques, historiques et politiques hétérogènes, se rencontrent pour la première fois à Altkirch. Cette exposition envisage ainsi différentes stratégies conceptuelles et critiques selon lesquelles des artistes développent une œuvre en absorbant la subjectivité d’auteurs inventésdifférentes stratégies, libérant l’artiste de ses limites d’espace, de temps, de genre, et lui permettant de rendre possible la construction d’une œuvre hybride, ouverte et flexible.

Telle stratégie consisterait à (ré)inventer certains aspects de l’Histoire. En introduisant par exemple un personnage fictif dans un contexte historique donnécomme l’Atlas Group (Walid Raad) le fait avec le Docteur Fakhouri ou Dora Longo Bahia avec Marcelo do Campo et Marcelo Cidade, les artistes tendent à élargir le spectre de leurs outils afin d’interroger procédés et figures historiques, et rendre tangibles certains récits restés jusqu’alors latents, si ce n’est directement réprimés ou censurés.

Certains artistes mettraient même en avant la falsification des sources ou des contextes historiques qu’ils inventent. Les prises de liberté de Pedro Manrique Figueroa, s’autorisant à modifier des données issues de différents contextes sans chercher à en dissimuler les altérations, montrent, d’une part, que l’histoire est une production instable, sujette aux incertitudes de l’imaginaire, et que d’autre part, la source vérifiable n’en est pas le matériau essentiel.

La participation d’Eleanora Antinova (Eleanor Antin) aux Ballets Russes de Diaghilev permet, quant à elle, de déplacer la question de la discrimination de genre et de race dans un espace-temps historique où le problème n’a pas été publiquement discuté, ouvrant ainsi un nouveau champ pour l’envisager.

Telle autre stratégie consisterait à s’assurer que le corps univoque de l’artiste ne fasse pas obstacle aux idées. Ainsi Yoon Ja et Paul Devautour sortent-ils du leur pour construire une méta-collection constituée d’œuvres conçues par plus d’une vingtaine d’artistes «sans corps», dont les préoccupations multiples et réelles alimentent un vaste programme critique qui use de la fiction pour déconstruire le système de l’art à échelle 1:1.

Si les artistes de fiction apparaissent, en négatif, à travers leurs œuvres, ils n’existeraient pourtant pas sans biographie, si fantasque et minimale soit-elle. Sans biographie, il ne peut y avoir de récit, et sans récit, de subjectivité inventée. Et l’une des façons de fabriquer ces biographies reviendrait à légitimer des artistes et des œuvres mineurs ou inconnus. Ainsi Juan Trepadori, au moins quatre des cinq personnages de Marisa Rubio ou Joaquim Nunes de Souza, amateurs, médiocres ou inconscients de leur (relatif) talent, n’auraient pas eu de place dans l’histoire s’ils n’étaient pas engagés dans des opérations artistiques qui, d’une manière ou d’une autre, les dépassent.

L’une de ces opérations consisterait à se glisser dans une situation réelle. Trepadori, Antinova, les artistes de Rubio ou l’Atlas Group existent en effet sur des plans fictionnels très proches de la réalité. Si bien que leur mission pourrait se résumer à entretenir les connexions entre ces plans parallèles et le réel. À contrario, d’autres vivent au-delà des limites de notre monde, car leurs visions diffèrent trop des nôtres. Euclides Terra, une céramiste passionnée par les mythes et les mouvements énergétiques cosmiques, ainsi que René García Atuq, dont la notion du temps défie notre vérité, ont la capacité d’incarner des systèmes de perception expérimentaux qui peuvent servir d’outils pour penser et agir.

Si l’artiste de fiction a le pouvoir d’habiter non seulement un, mais de multiples plans fictionnels, cette multiplicité ne pourrait-elle pas, alors, nous inspirer de nombreuses formes d’existences?

Santiago García Navarro & Elfi Turpin, février 2016.

Santiago García Navarro (Argentine, 1973) est commissaire associé à l'exposition Trust In Fiction.