Du 16 septembre au 24 novembre 2002, Bienvenue—Welcome—Wilkommen @ Altkirch, exposition collective avec Leo Copers, Yan Duyvendak, Michel François, Peter Friedl, Joachim Grommek, Thomas Galler, Gerald Van der Kaap, Rainier Lericolais, Rémy Markowitsch, Josep-Maria Martin, Carlo Mistiaen, Josh Müller, Nils Nova, Ugo Rondinone, Maya Roos, sur un commissariat d'Hilde Teerlinck.

Altkirch. Quand j'ai entendu ce nom pour la première fois, je n'ai pu imaginer véritablement ce qu'il désignait. Cela sonnait comme quelque chose de médiéval, un vocable plein de mystère dont j'ignorais tout à fait l'origine. J'étais à cent lieues de penser qu'il s'agissait d'une localité, où se trouvait de surcroît un centre d'art contemporain.

Un samedi après-midi brumeux, mon ami et moi nous préparons à prendre la route en direction de ce lieu intrigant. La raison de notre petit périple est l'invitation faite par Hilde Teerlinck, nouvelle directrice du centre rhénan d'art contemporain, de nous rendre à sa première exposition. Nous traversons Bâle avant d’atteindre le sud de l'Alsace, ses champs ondulants et ses villages pittoresques, jusqu’à notre arrivée à Altkirch. Le nom est prémonitoire, car la première chose que l'on découvre est l'église qui fonctionne comme emblème de la ville, mais aussi comme point de repère pratique permettant de trouver aisément le CRAC. “Tout de suite après l'église, il faut descendre à droite pour arriver directement au centre d'art”, m'avait expliqué Hilde Teerlinck. Je suis curieuse de découvrir les surprises que l'exposition inaugurale Bienvenue / Wilkommen/ Welcome @ Altkirch nous promet.

Un bâtiment imposant, laissant entrevoir la disposition intérieure d'anciennes salles de classe, nous accueille. Au-dessus de l'entrée flotte un drapeau noir portant l'effigie d'un crâne. Apparemment les lieux ont été squattés. Des pirates? J'en doute, car sur l'étendard manque un élément, crucial qui en ferait leur signe de ralliement distinctif: les os croisés. La tête de mort rappelle plutôt la planche anatomique ou le dessin d'étude de quelque atelier d'une école des beaux-arts. S'agit-il donc d'une référence ironique? Certainement. Mais l'installation Vlag (drapeau) de l'artiste belge Leo Copers fonctionne également ici comme le signe emblématique indiquant que dans cette maison, ce sont les artistes qui ont pris le pouvoir. Au CRAC, l'art règne souverainement.

Après Leo Copers, le ton est immédiatement donné par un autre artiste occupant le vestibule: le peintre allemand Joachim Grommek s'y est installé avec ses pièces murales à mi-chemin de la peinture abstraite, du design et de l'architecture. Quinze artistes ont participé à cette “occupation des lieux” inaugurale, intervenant dans chacune des salles. Ce sont des mini-expositions individuelles qui offrent un avant-goût de la future programmation du CRAC, une sorte “d'amuse-bouche” préparé par la nouvelle directrice qui ouvre notre appétit.

Il n'y a pas de véritable thème qui cimente les différentes démarches et positions artistiques, mais plutôt une atuitude commune aux artistes et à la directrice qui fonctionne comme un fil conducteur. Tous les artistes analysent et montrent d'une façon très personnelle comment notre perception de la réalité a été modifiée par le cinéma et les médias. IIs posent également des questions concernant la représentation contemporaine. Réalité et fiction sont de plus en plus entrelacées, comme par exemple dans les oeuvres créées par l'artiste suisse Thomas Galler. Dans son travail se fait jour une forme de déconstruction de la perception linéaire, éloignant les images de leur contexte originel en les transférant dans d'autres constellations. Le fondement de ses oeuvres les plus récentes est la technique du found footage: l'artiste utilise des images tirées de films hollywoodiens célèbres qu'il retravaille à l'ordinateur afin de révéler leur surprenant sens caché. Il s'agit d'une déconstruction consciente du monde de glamour et de fiction d'Hollywood, qui place au premier plan de la perception le côté obscur de cette machine à rêves.

On découvre la même tension entre le fictif et le réel dans les mises en scène de Josh Müller. Dans son installation photographique Les Constructions du ciel, qui couvre un mur entier, il nous confronte à une image qui semble être une photographie d’un aéroport couvert par la brume. Mais à y regarder de plus près, nous découvrons qu'il s'agit d'une maquette en carton. Toute la beauté de ce paysage séduisant réside donc en un trompe-l'oeil virtuel, qu'on prend au premier abord pour quelque chose de «vrai ».

Gerald Van der Kaap présente des photographies réalisées en Chine, fruit d'un séjour de plusieurs mois à Xiamen. Les images ont été réalisées par l'artiste hollandais en collaboration svec des adolescentes de la région. Leur froideur est déstabilisante et nous fait nous questionner sur la frontière entre documentation et fiction.

Une autre oeuvre m'a fortement impressionnée: King Kong (2001) de Peter Friedl. Cette vidéo de quelques minutes est un travail touchant qui traite de la vie quotidienne eu de l'injustice politique en Afrique du Sud. Tout tourne autour du chanteur blanc Daniel Johnston, qui chante, assis sur un banc. Les mouvements lents de la caméra nous font découvrir que ce personnage se trouve à Johannesburg, dans un parc chargé d’un passé politico-historique complexe. Le texte de la chanson résume la vie triste d'un fameux boxeur poids-lourd noir, que tout le monde appelait “King Kong”. Friedl réussit à mettre en scène un jeu complexe avec plusieurs niveaux, plein de poésie et d'humanité.

Les litanies mélancoliques de Daniel Johnston nous accompagnent lors de notre retour à Zürich et nous renvoient des échos de l'exposition. Bienvenue/Wilkommen/Welcome @Altkirch nous a ravis. Il s'agit d'une présentation surprenante, pleine de vie et de fraicheur. Nous souhaitons de tout cœur qu'Hilde organise d'autres expositions aussi réussies.

Mirjam Varadinis, commissaire d'exposition, Kunsthaus Zürich